Tu ouvres les yeux puis tente de te lever, avec la sale impression de t’être fait rouler dessus par une bagnole. Percevant un léger ronflement, tu te tournes et comprends vite pourquoi. Pour l’instant, il dort, mais tu hésites à le réveiller. « Ma chérie » ou « Mon p’tit lapin », tu ne sais même plus comment l’appeler à force, ce coup d’un soir aussi étrange que toi et qui t’a fait hurler comme jamais. Oui, tu aimes ça, que ton partenaire ait un truc qui pende à l’entrejambe ou pas selon son envie, et qu’en plus il puisse se dédoubler pour t’en faire voir de toutes les couleurs. Puisque les bonnes gens te qualifient régulièrement de petit pervers, autant leur donner du pain à picorer, à force de jacter ces poules de basse-cour finiront bien par se faire bouffer par un renard de passage …

Tu parviens finalement à quitter le lit, pour te diriger vers la salle de bains. Là, tes yeux ont le malheur de tomber sur un miroir et surtout sur le reflet d’un gamin complètement à l’ouest. Ouais, le matin, c’est jamais ton moment … Ni le reste de la journée d’ailleurs. Un peu d’eau sur la figure suffit à te réveiller assez pour te qualifier de conscient, et la cire chauffée entre tes mains permet de te donner un air un peu moins … Débraillé, même si au final tes cheveux n’en font qu’à leur tête et que ça te va bien ! Tu t’habilles rapidement et te grouille de te barrer avant que « T’es levé ? » … L’autre ne remarque ton absence du lit. Tu prends une bonne inspiration, tente de te convaincre que l’envoyer chier n’est pas une solution viable sur le long terme, mais que tu dois aussi abréger parce que sinon il va te coller aux basques pour un moment, et que ça va t’énerver. Aussi, tu prends un air faussement enjoué, pressé mais pas le moins du monde excédé en lui répondant « Ouais, j’ai pas mal de travail ! » - « T’es pas claqué après cette nuit ? » - « Tu n’imagines pas à quel point, c’était super ! Mais faut vraiment que j’y aille là. » Oui, un petit compliment pour flatter son égo, le faire jouir moralement et faire en sorte qu’il te lâche la grappe, ça ne mange pas de pain et tu peux ainsi, grâce à l’autre tellement prévisible qui ne prend pas la peine d’insister, quitter les lieux avant même qu’il ne cherche à se rappeler de ton prénom que tu lui as pourtant fait gueuler toute la nuit.

Sur le chemin vers les bureaux, tu te demandes s’il était judicieux d’enchainer soirées sur soirées durant tout le weekend, mais tu te convaincs vite que ça ne regarde que toi. Après tout, tu es un génie, tu le sais et les autres aussi, alors se faire sauter par un troupeau de lapins chauds comme la braise toute la nuit, puis bosser sur des projets de la première importance dès le matin, c’est largement gérable ! Le truc, c’est de ne pas penser. Car si tu te mets à réfléchir, tu spécules, tu projettes, et ça devient vite le bordel dans ta tête. Après tout, n’est-ce pas pour ça que tu t’es rendu dans un club privé pour te souler comme jamais ? Oublier, pour un temps du moins, parce que t’avouer toi-même la vérité te rongerait. Et voilà que t’es reparti pour y penser, et merde ! Excédé par ton propre esprit critique qui te fait royalement chier, sans échappatoire puisque tu ne peux te venger sur personne aux alentours, tu te saisis de ton walkman, fous une cassette lambda qui traine dans ton sac, mets les écouteurs et lance la musique à fond.

Tant bien que mal, tu arrives sur ton lieu de travail, l’air coincé de tes collègues en moins. Tu passes leurs systèmes de sécurité parfaitement inutiles et déjà hackés pour le fun, puis te rends directement à ton atelier. Pas un bonjour, pas un regard, personne sur le chemin et une journée de plus à passer seul, au final cela te convient et tu ne lâcherais ça pour rien au monde. Après tout, n’est-ce finalement pas la vie que tu as toujours voulue ?